L'histoire d'Auguste Barrière avant qu'il ne s'appelle Max M.

Auguste Barrière avait dédié sa vie à la révolution. Chaque geste de sa vie en portait la marque, chaque pensée qui lui venait avait sa portée, son sous-entendu révolutionnaire: prendre un café au bar d'en face, se brosser les dents, marcher même était un acte révolutionnaire.
Ne l'imaginez pas gesticulant, appelant la foule à la révolte, juché sur la première poubelle venue. Son action révolutionnaire était une œuvre de l'esprit, une preuve même du pouvoir de l'esprit, convaincu que si l'ensemble de ses activités psychiques se consacrait à la révolution, celle ci adviendrait tôt ou tard. Il lui fallait devenir révolution pour qu'elle se fasse.

Auguste avait tout lu de l'œuvre de Marx et d'Engels, compulsé Lénine avec dévotion, de leur correspondance la plus anodine à leurs œuvres les plus abouties, les Matérialisme et empiriocriticisme, les Que faire, les Internationalisme prolétarien; répétant en lui même, à la manière des moines, les passages les plus puissants psychiquement. Car il aimait à classer ses livres selon leur Potentiel d'Accélération Révolutionnaire. Certains livres véhiculaient un grand PAR si l'on savait les lire, débusquer en leur sein cette subtile équation. Le Manifeste du Parti Communiste était l'un des plus puissant par exemple, il se devait de le lire une fois par jour. Sa seule Lecture Psychiquement Active (LPA) influait quotidiennement sur le devenir révolutionnaire du monde. Les livres a faible portée n'en demeurait pas pour autant inutile, le PAR d'un Théorie de la plus-value s'ajoutant selon une complexe mathématique à la force d'un L'état et la révolution.

La fin était proche, il le sentait: le monde vibrait, semblait se tordre par endroits. Il n'en faudrait pas beaucoup pour qu'il cède. La quête d'un livre de Pure Accélération Révolutionnaire (P'AR) devint son obsession, un livre dont la simple lecture produirait un Basculement de Réalité Révolutionnaire (BRR). Bercé par le train qui le menait à la grande ville, Auguste se récitait mentalement La Lutte Des Classes.

Ses journées il les passait désormais dans les librairies et les bibliothèques à l'affut du Livre (P'AR). Sans jamais se faire remarquer par personne, il fouinait, pensant reconnaitre le Texte du premier coup d'œil, pensant que le Texte se ferait reconnaitre. Pendant 3 mois, sans déroger à ses lectures et à ses rituels révolutionnaires, embusqué derrière son apparence de simple lecteur, il parcourut des milliers de pages, traversant les mots et les phrases à la recherche d'une véritable dialectique de BRR. Un jeudi, il mit la main dessus, c'était XXX, un petit in octavo d'un auteur russe inconnu, une annexe au Capital, une relecture plutôt du livre deux, tome deux, section 3, chapitre vingt et vingt et un. Ivre de l'avoir enfin déniché, il passa la nuit dans le train, perdu qu'il était dans sa lecture, émerveillé par l'enchainement nouveau des mots, le rythme soutenu des phrases, la soudaine clarté des idées en lui. Auguste le tenait son chant de P'AR, le grand soir était là, à portée de pensée. A peine l'avait-il fini qu'il le reprenait en main, le redécouvrant sans cesse. Aveuglément enthousiaste, il en oubliait même sa dernière lecture: "Il faut absolument que je lise ce livre!" s’exclamait-il à chaque point final. Tant et si bien qu'il revendit tout les livres de sa bibliothèque devenu désuète pour ne se procurer que du XXX, formule et logique secrète d'une révolution précipitée et imminente.